Ces dernières années, de nombreuses découvertes des neurosciences ont permis d’élucider le mystère de l’apprentissage de la lecture. Alors qu’on ne disposait d’aucune information sur le sujet il y a trente ans, nous pouvons aujourd’hui parler d’une réelle science de la lecture. Nous pouvons toutefois regretter que cette dernière ne soit pas connue des enseignants et des parents. L’objectif du livre Apprendre à lire, sous la direction de Stanislas Dehaene est de diffuser ces connaissances au grand public. Nous en résumons une partie dans cet article.

Alors que l’espère humaine Sapien est apparue il y a environ 200 000 ans, la lecture a émergé il y a 5000 ans seulement. Elle est arrivée bien trop tôt dans l’histoire de l’humanité pour avoir engendré des modifications pérennes sur l’évolution du cerveau humain. Notre patrimoine génétique n’a pas été modifié pour faciliter l’apprentissage de la lecture. En revanche, l’être humain s’exprime, depuis sa création, dans un langage plus ou moins complexe et fluide selon la période. Le cerveau humain est ainsi parfaitement adapté à l’acquisition du langage. Maria Montessori parle même d’une période sensible du langage chez l’enfant, c’est-à-dire une période pendant laquelle l’enfant apprend naturellement et facilement une langue. C’est pour cela que, comme l’a fait remarquer Darwin, alors que l’apprentissage d’une langue se fait spontanément et facilement chez l’enfant, l’apprentissage de la lecture est, au contraire, laborieux et artificiel.

Si notre cerveau n’est pas génétiquement programmé pour apprendre la lecture, maîtriser le langage oral est un premier pas vers le langage écrit. Or, avant d’apprendre à lire, les enfants sont des vrais experts du langage parlé. L’enfant n’en est pas conscient, mais il a déjà intégré beaucoup d’informations sur la structure du langage qui seront très utiles pour l’apprentissage de la lecture. C’est d’ailleurs en apprenant à lire qu’il prendra effectivement conscience de ces structures, qu’il manipule tous les jours sans le savoir. En effet, par exemple, grâce au langage parlé, à deux ans, l’enfant comprend que les mots ont un ordre : on ne dit pas « pain donne » mais « il donne du pain ».

Lorsque l’enfant apprend à lire, une région de son cerveau se spécialise et est exclusivement consacrée au déchiffrage des lettres de l’alphabet et de leurs combinaisons. Elle permet notamment de repérer les petits détails qui distinguent le o du a par exemple. Elle se nomme l’ « aire de la forme visuelle des mots ». Elle se situe dans l’hémisphère gauche du cerveau, dans la région du cortex visuel.

À l’origine, cette zone était au sein des aires visuelles, qui permettent aux humains (et aux animaux) de reconnaître les visages, les formes et les objets. En apprenant à lire, une partie de cette zone se « recycle » pour se dédier à la reconnaissance des lettres. On parle de la « théorie du recyclage neuronal ».

Par ailleurs, des études comparant les cerveaux d’individus lettrés et illettrés ont démontré que les premiers disposent de capacités visuelles plus précises. Lire raffine la vision. En outre, lire permet paradoxalement de mieux maîtriser la langue orale. En effet, en lisant, on prend conscience de ce que l’on dit à l’oral, des syllabes et des structures :  « on recode les sons du langage ».